Yves de Rougemenot: La famille Rougemont de St-Aubin et Neuchâtel

Titel
La famille Rougemont de St-Aubin et Neuchâtel.


Autor(en)
de Rougemont, Yves; Denise, de Rougemont
Erschienen
Hauterive 2012: Éditions Attinger
Anzahl Seiten
212 S.
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Philippe Henry

L’histoire des familles est à la mode. Ce n’est pas une nouveauté chez les historiens de profession, la recherche académique étant vouée depuis longtemps à l’histoire de la famille, tant cette institution joue à l’évidence un rôle clé dans l’évolution des sociétés. Mais avec l’essor de la démographie historique dans les années 1950 et l’exploitation des registres paroissiaux, le côté élitaire des histoires familiales s’est estompé ; il ne s’agit plus des seules « grandes » familles, ayant laissé des traces substantielles dans les archives, c’est-à-dire, le plus souvent, ayant occupé un rang social élevé et joué un rôle historique perceptible. On peut maintenant envisager, tout au moins en Occident, l’histoire de presque n’importe quelle famille, de dresser le tableau, plus ou moins désincarné, de la succession de ses générations. Les mutations de l’historiographie du XXe siècle, ses nouvelles thématiques (démographie historique, histoire sociale – in)uence des réseaux sociaux, dont la famille –, histoire culturelle, histoire dite « des mentalités »…) ont évidemment favorisé ce phénomène. Ce dernier a été accompagné et amplifié par l’extraordinaire vogue contemporaine de la généalogie, forme de retour identitaire aux racines devenue très populaire en raison des nouvelles possibilités d’exploitation des sources avec des méthodes très simplifiées, grâce aux outils informatiques.

Il n’en reste pas moins qu’il est plus facile de faire l’histoire d’une famille de notables que de celles des « obscurs ». Du moins d’en écrire une histoire qui ne se résume pas à une sèche et abstraite accumulation de noms et de dates, mais puisse faire revivre certains personnages en leur donnant du relief, de la chair et de l’esprit. C’est avec ces ambitions qu’Yves et Denise de Rougemont se sont attelés à l’étude des origines et du développement de la famille Rougemont, du XIVe siècle à nos jours. La démarche généalogique s’est accompagnée du recours à de riches archives familiales, dont la mise en valeur à travers cette publication constitue du reste un objectif déclaré des auteurs. Ce livre vient s’ajouter à d’autres, parfois déjà anciens, à fondement généalogique plus ou moins enrichi, relatifs aux « grandes » familles neuchâteloises, actrices de premier plan de l’histoire du pays, singulièrement sous un Ancien Régime politique dont elles étaient les piliers1.

Depuis ses premières mentions à Provence (VD), puis à St-Aubin (XIVe-XVe siècles), on suit l’ascension sociale de la famille – du moins, à partir du début du XVIe siècle puis de celui du XVIIe siècle, surtout celle des deux seules branches anoblies, dont l’une, la branche dite « du Maire », s’éteint en 1705 ; dès lors on ne traite principalement plus que de la branche dite « de la Caisse de famille », remontant à Jean (avant 1596-1658), et de ses ramifications jusqu’à nos jours. Ce sage et nécessaire rétrécissement du champ de recherche permet, notamment grâce aux documents des archives familiales (inventaires, actes notariés, testaments, extraits de correspondances, de journaux personnels et de souvenirs, etc.), une concentration sur les personnages les plus intéressants ou in)uents de cette saga. Dixhuit tableaux généalogiques détaillés et précis aident à s’y retrouver dans les méandres de la succession des générations et le foisonnement des rameaux, jusqu’à nos jours.

L’ascension des Rougemont se fait, sur le plan matériel, grâce à une fructueuse stratégie matrimoniale, une sage gestion des patrimoines et une habileté manifeste à les augmenter par une très active politique d’acquisition de biens immobiliers, à la hauteur de la croissance des moyens financiers de la famille. Dès la fin du XVIe siècle, par l’exercice de charges publiques, dans la Bourgeoisie du chef-lieu ou au service du comte, les Rougemont sont déjà bien installés dans l’oligarchie neuchâteloise. Avec François-Antoine (1675-1758), les Rougemont tiennent leur premier conseiller d’Etat (de 1725 à 1758) ; il y en aura quatre autres. Par ailleurs la famille voit partir des mercenaires au service de France. C’est le cas, par exemple, de Frédéric (1647-1705, le dernier de la branche du Maire, qui lui doit son nom), capitaine au service de France, puis maire de La Chaux-de-Fonds, anobli en 1683 par le prince de Condé, alors co-curateur du prince Jean-Louis-Charles d’Orléans, faible d’esprit.

Au XVIIIe siècle, tout comme la tradition du service étranger continue, le rôle politique des Rougemont se confirme avec éclat. Les alliances matrimoniales avec les familles les plus in)uentes du pays se multiplient (Pury, Montmollin, Perrot, Ostervald…) et confirment l’inclusion des Rougemont dans la « super-famille » que forment les principaux noms de l’oligarchie locale. Au Conseil d’Etat, François-Antoine (1713-1788) succède à son père en 1758, suivi par son neveu Louis (1743-1794). Le poids politique de la famille atteint son maximum avec le conseiller d’Etat Georges de Rougemont (1758-1824), le plus important de ces gouvernants puisque, devenu procureur général, député en Diète sous la Médiation, il exerce une in)uence prépondérante pendant le régime de Berthier, puis joue un rôle important dans l’entrée de Neuchâtel au rang de canton dans la Confédération restaurée, en 1815.

Parallèlement, la famille prend au XVIIIe siècle une dimension européenne via l’intégration de plusieurs de ses membres dans le réseau )orissant de la banque protestante en France. La dynastie des banquiers Rougemont, inaugurée à Paris par Jean-Jacques (1705-1762) et Abram (1717-1787, fondateur de la Caisse de Famille, encore bien vivante), est vivifiée par les fils du premier, dont Denis (1759-1839, anobli par le prince en 1784), financier de haut vol qui saura faire traverser à la banque familiale, initialement associée à la banque zurichoise Hottinger, les remous de la Révolution et de l’Empire. La descendance de Denis (la branche « du Loewenberg ») fournira encore des banquiers, alors que se développera à Londres, une autre banque Rougemont, dont le premier dirigeant est Josué (1709-1769), frère de Jean- Jacques, dont les neveux seront à l’origine du )orissant rameau anglais de la famille.

Le dernier conseiller d’Etat Rougemont sera Frédéric Constant (1808-1876), fils de Georges. Ce n’est pas le moins intéressant. Théologien forméà Goettingue, puis élève du grand géographe Carl Ritter à Berlin, il mène une double carrière, du moins jusqu’en 1848. Connu très jeune pour ses précieux écrits sur le système scolaire de la principauté, député en Diète puis conseiller d’Etat, il est l’auteur de plusieurs très ambitieuses synthèses géographiques et ethnographiques, à une époque où ces disciplines sont encore balbutiantes. Les trois volumes de l’ouvrage intitulé Le peuple primitif, sa religion, son histoire et sa civilisation (1855-1857), aujourd’hui aussi oublié que ses autres publications, rencontreront alors un grand succès ; il rédige aussi de vastes tableaux historiques ou philosophiques, et, après 1848, des textes politiques imprégnés de sa vision conservatrice du destin de Neuchâtel.

La fin de l’Ancien Régime pousse les Rougemont hors du champ politique. Frédéric Constant est en somme le premier grand « intellectuel », au sens le plus large, de cette famille d’où étaient cependant issus depuis longtemps des pasteurs, lesquels vont se multiplier. Son fils Frédéric (1838-1917), pasteur lui aussi, s’illustrera dans le domaine scientifique (entomologie). D’autres pasteurs et théologiens suivront encore, comme Henri (1839-1900). Les écrits universellement connus de Denis de Rougemont (1906-1985), fils de pasteur, petit-fils d’Henri, prendront enfin la dimension largement internationale qu’on sait.

Ainsi, en schématisant sommairement, on peut dire que l’ascension des Rougemont, parallèle au passage d’une société d’ordres à une société de notables, se fait en trois phases, ou selon trois modalités dominantes d’illustration imparfaitement successives : aux serviteurs du pouvoir local s’ajoutent, dès le XVIIIe siècle, les banquiers, puis, après la coupure de 1848, les pasteurs et les intellectuels.

Il faut savoir gré à Yves et Denise de Rougemont d’avoir raconté d’une plume alerte cette longue aventure, en un livre superbement réalisé et illustré, doté des indispensables index ad hoc, et dont l’intérêt dépasse le cadre familial, allant bien au-delà de la simple auto-valorisation du patronyme qu’on peut parfois reprocher à certaines productions du genre. Car il s’agit d’une bien utile contribution à l’histoire des élites neuchâteloises en tant que catégorie(s) sociale(s) ; cette histoire prometteuse reste à écrire.

1 Principalement : Jean Thierry Du Pasquier, La famille Du Pasquier, Neuchâtel, 1974 ; Claude de Montmollin, Contribution à l’ histoire de la famille de Montmollin, Neuchâtel, 1949 et Guillaume de de Montmollin, Généalogie de la famille Montmollin, [Neuchâtel], 1968 ; Louis M,12,3, Les Pourtalès : histoire d’une famille huguenote des Cévennes, 1500-1860, Paris, 1914 ; Hugues Jéquier, Jaques Henriod, Monique de Pury e.a., La famille Pury, Neuchâtel, 1972 ; Guy de Meuron, Histoire d’une famille neuchâteloise (La Famille Meuron), Hauterive, 1991. Voir aussi l’ouvrage collectif, paru sous la direction de Jean-Pierre Jelmini /, Les Sandoz. Du Moyen Age au troisièmemillénaire. Une famille des Montagnes neuchâteloises à la conquête du monde, Hauterive, 2000.

Zitierweise:
Philippe Henry: Rezension zu: Yves et Denise Rougemont, La famille Rougemont de St-Aubin et Neuchâtel, publié par la Caisse de famille, Hauterive, Editions Attinger, 2012. Zuerst erschienen in: Revue historique neuchâteloise, Vol. 4, 2015, pages 313-316.

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Revue historique neuchâteloise, Vol. 4, 2015, pages 313-316.

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